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Ni Vieux Ni Traitres (Pierre Carles)

 

Alors que Cesare Battisti est toujours en fuite et que de nombreux anciens activistes politiques sont encore en prison, le documentariste Pierre Carles et le journaliste Georges Minangoy sont allés à la rencontre d’anciens partisans de la lutte anti-franquiste anarchiste des années 70.

CELUI QUI COMBAT PEUT PERDRE, MAIS CELUI QUI NE COMBAT PAS A DEJA PERDU

Le jeudi 14 octobre 2004 à 20h30, Pierre Carles et Georges Minangoy présentaient à la Salle Olympe de Gouges, à Paris, en "avant-première mondiale", un premier montage de leur film Ni vieux, ni traîtres.
"Dans les années 70, des anarchistes français luttèrent avec leurs camarades catalans contre l'Espagne franquiste finissante. Pour financer leurs actions subversives, ils multiplièrent hold-up et braquages de banques.
Au milieu des années 80, certains de ces "libertaires" passèrent à l'action – directe – anti-capitaliste en revendiquant l'assassinat de patrons comme celui de Renault. D'autres refusèrent catégoriquement de recourir à ce type de violence, sans toujours se désolidariser de leurs anciens compagnons de lutte.
A l'heure où tant d'ex-soixante-huitards accèdent au pouvoir en reniant leurs engagements passés, ces rebelles prétendent avoir mis en conformité leurs convictions et leurs actes, et quelquefois le payent, comme Jean-Marc Rouillan, de longues années de prison.
Ce film ouvre le débat sur la légitimité de la violence et la fidélité des choix politiques".
Ainsi se présentait le bébé sur le site non-officiel de Pierre Carles.
A sujet brûlant et forcément polémique, réaction épidermique: le débat qui s’ensuivit, réunissant entre autres Laurent Roth, Miguel Benassayag et Helyette Bess, fut on ne peut plus passionné.

L'ART NAIT DE CONTRAINTES, VIT DE LUTTES ET MEURT DE LIBERTE

Pourtant, le documentaire, dans la version qui nous a été présentée, s’avère très certainement moins astringent qu’on aurait pu le craindre.
Assumant, comme souvent chez Carles, son esthétique artisanale de DV bricolée, le film délaisse l’impersonnalité du film strictement militant, didactique, et approfondit la méthode déjà éprouvée par Attention danger travail.
A savoir un effacement du réalisateur (ici quasi-intégral, sa présence se résumant à quelques rares fragments de voix) au profit de protagonistes iconoclastes et immédiatement sympathiques, dans une ambiance de redistribution des cartes du monde autour d’une bonne bouteille.
De vieil argot à la savoureuse texture (les "bracos" affectueusement surnommés "expropriations") en anecdotes tantôt égrillardes, tantôt plus graves, de fous rires en digressions anarcho-philosophiques (on cite Brecht, et son "Que vaut un cambriolage de banque face à la fondation d'une banque?"), le film chemine doucement des petites histoires à la grande.
Si le montage présenté n’est pas définitif, l’on peut toutefois noter une évolution dans le style documentaire de Carles.
D’abord cette mise en retrait de l’ego donc, conséquence logique de l’auto-parodique Enfin pris?
Une maîtrise accrue du found footage, ensuite, recherchant désormais davantage une efficacité de sens que de forme.
Le film y gagne en profondeur ce qu’il perd en rythme.
Enfin, si l’humour ne s’est pas, et c’est tant mieux, retiré du cinéma de Carles, le rire, et par extension toutes les réactions-réflexes du même ordre, ne sont plus les effets recherchés à tout prix par le documentariste.

LA DIGNITE EST DANS LA LUTTE, PAS DANS L'ISSUE DU COMBAT

Ainsi, là où un Michael Moore, à qui il est souvent comparé, tend à restreindre de plus en plus la liberté du spectateur, en multipliant les effets de montage et de dramatisation du réel, Pierre Carles s’éloigne perceptiblement de l’implacabilité de Pas vu, pas pris, et semble vouloir renouer avec ses débuts pour l’émission Strip-Tease.
En s’extrayant du champ de la caméra, il participe en quelque sorte à son élargissement. Une nouvelle donne qui ne fut d’ailleurs sans doute pas étrangère à l’animosité d’une partie du public: rodé au système Pierre Carles, souvent militant lui-même, ses attentes furent partiellement déçues.
Il y a pourtant beaucoup à (ap)prendre dans Ni vieux, ni traîtres, au-delà des discours agités des vieux briscards.
Dans sa forme actuelle, le film s’interroge en fait davantage sur le passage de flambeau dans la lutte, que sur le passé de la lutte.
Aussi, si d’aucuns peuvent reprocher à Carles de rendre compte peut-être un peu trop simplement de la réalité de la lutte armée (un extrait du documentaire espagnol Sens Llibertat, d’une force comparable à l’increvable Avec le sang des autres de Muel utilisé dans Attention danger travail, comble toutefois déjà pas mal de manques), les autres pointeront le fait que le film s’écrit au présent. Ni vieux, ni traîtres, ainsi que la première partie de son titre l’indique, ne vise pas à sortir de leur mausolée seventies les spectres de la lutte antifasciste.
D’un fervent optimisme, le film conçoit la lutte non pas comme une lourde croix à porter, mais bien comme une Résistance active, humaine, avec ses joies, ses peines, et surtout son plaisir du jeu subversif.
L’humour et les amours y ont leur place, tout comme les déconvenues, les erreurs et les engueulades.

MOURIR POUR DES IDEES, L’IDEE EST EXCELLENTE

Certes, la réalité rôde, et ce sont d’abord des images de télévision qui nous la précipitent le plus crûment à la figure (il faut voir Bernard Thibaut, prétendre devant les caméras de France 3 lutter contre le MEDEF en organisant des pique-niques, pour le croire).
Plus tard, ce sont d’autres images, cette fois véritablement impressionnantes, qui nous tombent sans prévenir sur le coin de la gueule: Joëlle Aubron, fraîchement sortie de prison, le corps fortement marqué par le cancer, expose en un souffle viscéral ses dégoûts, remords, regrets, souffrances.
A ce stade, le documentaire prend une nouvelle tournure: prendre les armes contre un pouvoir illégitime, mourir pour des idées en d’autres termes, pour quoi faire?
Et Aubron, frêle mais digne, faible physiquement mais d’une inouïe violence rentrée, de hurler sourdement l’incohérence dans la lutte, les embrouillaminis entre marxistes, léninistes, anars et staliniens, l’insuffisance de la solidarité populaire.
Les mots ici régurgités, comme vomis, remuent, frappent, et ne sont tendres avec personne, surtout pas avec la violence d’Etat, contre laquelle Aubron réaffirme la nécessité d’une contre-violence de lutte.
Mais peut-on véritablement assumer, ou en tout cas accepter, d’éteindre des vies au nom de la Résistance?
Le documentaire n’y répondra pas. C’est là toute sa force, son honnêteté, sa sincérité, mais aussi toute sa fragilité.
Renseignement pris, on sait que le montage final devrait également comprendre une séquence tournée en 2003 avec Guillaume Sarkozy, actuel n°2 du Medef, et Denis Kessler, ancien n° 2 du MEDEF, ainsi qu'une partie des houleux échanges, filmés par Maria Koleva, qui ont eu lieu à l'issue de la fameuse projection.
Nul doute en tout cas que le film méritera qu’on s’y attarde à nouveau.